En France, depuis 1963, date d'instauration de la carte scolaire, l'affectation des élèves dans un collège est fonction de son lieu de résidence. Ainsi, chaque élève est affecté à un collège public à proximité de son domicile. Par essence, cette méthode d'affectation reproduit au sein des collèges la ségrégation résidentielle. La possibilité d'obtenir des dérogations à cette affectation administrative, l'assouplissement de la carte scolaire de 2007, et la liberté de scolariser son enfant dans un collège privé affaiblissent nettement cette correspondance stricte.

Ces stratégies d'évitement de la carte scolaire sont en outre très marquées socialement. Touahir & Maugis (2021) montrent que si 70% des élèves issus de milieu défavorisé fréquentent leur collège d'affectation, c'est le cas pour seulement la moitié des élèves issus de milieu très favorisé, qui contournent la carte scolaire principalement en s'inscrivant dans le secteur privé (environ 40% contre 13% pour les élèves défavorisés). Cela contribue à renforcer la ségrégation scolaire et sociale entre collèges, au-delà de celle générée par la simple ségrégation résidentielle. Des études récentes montrent ainsi que des établissements proches géographiquement, qui partagent donc le même environnement social, ont des niveaux de mixité sociale très différents (Grenet & Souidi, 2021 ; Botton & Souidi 2022). Or cette hétérogénéité de l'environnement social et scolaire des élèves, c'est-à-dire la diversité des pairs fréquentés, affecte fortement leur réussite scolaire (Brodaty 2010 et Epple & Romano 2011).

Si la composition sociale de l'établissement est un des déterminants majeurs des stratégies d'évitement de la carte scolaire pour les familles, il convient également d'intégrer la dimension « qualité » de l'offre éducative et de sa répartition entre divers établissements, aspect qui est relativement moins étudié. Les rares travaux disponibles suggèrent une inégale répartition des ressources éducatives entre établissements du secondaire, inégalités qui sont en outre fortement corrélées à la composition sociale de l'établissement. Benhenda (2020) montre ainsi que les enseignants des élèves très favorisés sont plus expérimentés, plus diplômés et restent plus longtemps dans leur établissement que ceux des autres élèves.

Dans un premier temps, l'enjeu de ce travail est de prolonger les résultats des travaux sur la ségrégation sociale observée dans les collèges français à l'aide d'une analyse spatiale fine, visant à définir une zone de référence pour chaque collège. Cette méthode permet de proposer une mesure relative de la ségrégation sociale pour différents types d'établissements.

Dans un deuxième temps, nous documentons les écarts de dépenses publiques par élève (approximées par la masse salariale enseignante par élève) observés entre les collèges privés et publics sur l'ensemble du territoire national. Nous croisons cette donnée avec l'indice de positionnement social, qui reflète la concentration plus ou moins forte d'élèves issus de milieu défavorisé. Cela nous permettra d'avoir un premier aperçu de la relation entre une mesure de l'offre éducative et la ségrégation sociale.