Le caractère indirect de plusieurs impacts liés au parc bâti (déchets radioactifs générés par la consommation d'électricité par exemple) ainsi que sa participation à un grand nombre de phénomènes rendent nécessaire l'utilisation d'une méthode d'évaluation environnementale holistique et multicritère telle que l'analyse de cycle de vie (ACV) (Guinee 2002). Cette méthode peut être utilisée à différents niveaux pour l'étude des bâtiments et des quartiers : définition d'objectifs de programme, aide à la conception, aide à la gestion, aide à la rénovation, aide à la stratégie de déconstruction. Elle est utilisée en France depuis les années 90 sur les bâtiments (B. Polster 1995) et plus récemment sur les quartiers (Popovici 2005).

Les maitrises d'ouvrage, notamment les collectivités portent la réflexion en phase très amont, au moment où les décisions importantes sont prises sur l'environnement bâti. Or, peu de données spécifiques au projet sont définies à ce moment-là, ce qui complique l'application de la méthode d'analyse de cycle de vie. De plus, peu d'outils s'adressent spécifiquement à la maîtrise d'ouvrage et permettent une réflexion à l'échelle de l'ensemble du parc géré.

Le projet ECOMOA cible le développement de méthodes et d'outils spécifiques basés sur l'Analyse de Cycle de Vie à destination des maitres d'ouvrage. La recherche est élaborée en co-construction avec la ville de Paris, partenaire du projet, pour s'adapter au plus près des contraintes et périmètres de responsabilité des acteurs de terrain. Par ailleurs, les chercheurs organisent des sessions de formation-restitution afin d'accompagner la montée en compétence des agents de la ville et de leurs prestataires.

Dans la suite de cette communication la méthodologie du projet ECOMOA est présentée ainsi que l'application prévue sur le parc des écoles de la ville de Paris. La méthode suivie est d'abord exposée de façon générale puis des premiers résultats sont discutés ainsi que des perspectives pour la suite du projet.

2. Méthodes et outils

La méthodologie suivie comprend 4 étapes : un état de l'art, une phase de développement méthodologique, une étude d'opportunité sur les maquettes BIM/CIM et enfin une analyse du processus de décision sur le parc des écoles de la ville de Paris.

L'état de l'art implique ici de confronter les outils utilisés par la collectivité à la littérature scientifique pour identifier des leviers d'action pertinents pour la collectivité. Cette étape est également nécessaire pour sélectionner les approches méthodologiques et les indicateurs environnementaux pertinents en collaboration avec les acteurs de terrain.

Les développements méthodologiques se concentrent ensuite sur les difficultés identifiées dans l'état de l'art concernant l'utilisation des outils d'écoconception pour les maitres d'ouvrage, en phase très amont : la difficulté de la collecte de données (e.g. création d'archétypes, utilisation de sources opendata et potentiel d'automatisation de la collecte de données contextuelles), l'importance de l'adaptation des outils au contexte spécifique du maître d'ouvrage (territorialisation des données, régionalisation des impacts, intégration de phénomènes spécifiques, e.g. effet d'îlot de chaleur urbain), évolution des pratiques du secteur (économie circulaire).

En parallèle, une étude d'opportunité sera effectuée concernant le potentiel des maquettes BIM/CIM dans un objectif de capitalisation des données et d'amélioration de la fiabilité et de la précision des études, notamment.

Finalement, les développements proposés seront mis en œuvre sur le parc des écoles de la ville de Paris, à différentes échelles spatiales (bâtiment, îlot, parc).

3. Résultats de l'état de l'art

Outils de la collectivité : En phase de programmation, la ville de Paris s'appuie sur des diagnostics et objectifs fixés à l'échelle territoriale. Il s'agit d'une part du plan local d'urbanisme (PLU) bioclimatique, qui propose notamment des orientations d'aménagement et de programmation, du plan climat pour la réalisation de l'objectif bilan carbone neutre, et du plan économie circulaire de l'année 2017. La ville de Paris a effectué différents bilans, tels qu'une étude de vulnérabilité et de robustesse face au changement climatique et la raréfaction des ressources, et le bilan carbone 2020. Enfin, le socle des invariants, un document interne à la mairie de Paris, fixe de nombreuses règles pour la maîtrise d'ouvrage, notamment en termes de sécurité et de conception bioclimatique.

Les développements méthodologiques proposés devront s'inscrire dans cet ensemble, sans démultiplier la complexité de gestion des études pour les chefs de projet de la ville de Paris.

Positionnement méthodologique : La première étape de la méthode d'analyse de cycle de vie consiste à définir les objectifs du projet. Ensuite, le périmètre du projet est établi, et de nombreuses hypothèses sont posées. Différentes approches existent, selon les objectifs définis, et peuvent être divisées en deux catégories : l'approche attributionnelle et l'approche conséquentielle. Cette dernière vise à étudié les conséquences de la décision correspondant à la réalisation du projet (Weidema, Ekvall, et Heijungs 2009). Elle met en évidence le lien entre le projet et le contexte économique et infrastructurel (Roux 2020) ; elle est plus adaptée pour refléter les impacts réels d'une modification du parc existant. La considération de données horaires du mix électrique permet de prendre en compte la variabilité temporelle de la demande et de la production d'électricité. De plus, le mix dépend fortement des décisions politiques futures, notamment des technologies qui vont être développées en priorité. Pour prendre en compte correctement cette évolution temporelle, il est possible de se tourner vers l'approche prospective, qui est principalement mise en pratique par l'utilisation de scénarios.

Les approches conséquentielles, dynamiques et prospectives seront donc mobilisés dans le cadre de ce projet.

Indicateurs environnementaux : Les impacts sont évalués à partir d'indicateurs environnementaux, dans lesquels tous les flux sont recensés et agrégés afin d'être interprétés. Des recommandations ont été publiées par l'ILCD, et des travaux récents ont permis de déterminer des méthodes concernant la différentiation spatio-temporelle des impacts (GLAM 2016). Dans l'objectif d'éviter les transferts d'impact et donc d'aborder un ensemble de problématiques environnementales, un jeu d'indicateurs a été sélectionné suite à un séminaire associant des spécialistes internationaux de l'ACV, comprenant notamment le changement climatique, les dommages à la santé humaine et les dommages à la biodiversité.

4. Prochaines étapes

Un développement méthodologique pour l'écoconception adaptée aux objectifs et périmètre de responsabilité des maîtres d'ouvrage sera réalisé, avec un focus sur le cas de la ville de Paris. Les questions de la prise en compte du réemploi, du stockage de carbone biogénique ainsi que de la rareté de certains matériaux seront étudiées car ce sont des éléments importants dans la stratégie à l'échelle de la collectivité. Des propositions méthodologiques opérationnelles seront comparées, et des préconisations pourront être faites pour le traitement de ces problématiques dans le contexte des outils d'écoconception à l'usage des maîtres d'ouvrage. Les caractéristiques spécifiques du territoire seront étudiées, telles que les effets d'îlot de chaleur urbain, de masques, les modalités de traitement des déchets, l'impact sur les réseaux... Ces conséquences doivent être incluses dans les évaluations environnementales mais de façon simple afin de permettre l'usage de l'outil par un public averti mais non expert. Les développements proposés dans le cadre de ce projet porteront principalement sur la proposition de données par défaut permettant de mieux caractériser le territoire et les données météorologiques. Enfin, des propositions méthodologiques seront faites en vue d'adapter les outils existants au regard des étapes précédentes afin de tenir compte des contraintes particulières liées à la maîtrise d'ouvrage.

Le parc des écoles gérées par la ville représente près de 700 bâtiments. Il est constitué d'un large panel de modes constructifs. Après discussion avec la collectivité, il a été décidé de classer les écoles en 5 grandes catégories : L'époque Jules Ferry (1880-1920), l'avant-guerre moderniste (1920-1930), les trente glorieuses (1950-1975), et l'architecture actuelle séparée en avant et après 2000. Des archétypes représentatifs de ces 5 catégories vont être élaborés sur la base de cas réels fournis par la collectivité. Ils seront positionnés dans leur contexte précis (e.g. masques proches, végétation, etc.) et leurs impacts environnementaux sur le cycle de vie seront évalués afin de tester différents scénarios d'évolution à l'échelle du bâtiment (rénovation, énergie renouvelable) et de l'îlot (opération cours oasis de végétalisation des cours d'école). Les aspects sur le confort, notamment sur le confort estival actuel et futur seront intégrés aux études.

5. Bibliographie

B. Polster. 1995. « Contribution à l'étude de l'impact environnemental des bâtiments par analyse du cycle de vie ». Ecole des Mines de Paris.

GLAM. 2016. « Global Guidance for Life Cycle Impact Assessment Indicators - Life Cycle Initiative ». 20 novembre 2016. https://www.lifecycleinitiative.org/activities/life-cycle-assessment-data-and-methods/global-guidance-for-life-cycle-impact-assessment-indicators-and-methods-glam/lcia-cf/.

Guinee, Jeroen. 2002. « Handbook on life cycle assessment operational guide to the ISO standards ». The International Journal of Life Cycle Assessment 7 (5): 311‑13. https://doi.org/10.1007/BF02978897.

Popovici, E. 2005. « “Contribution to the life cycle assessment of settlements” ».

Roux, Charlotte. 2020. « Consequential Life Cycle Assessment Applied to Buildings ». In Eco-Design of Buildings and Infrastructure. CRC Press.

Weidema, Ekvall, et Heijungs. 2009. « Guidelines for application of deepened and broadened LCA ». Deliverable D18 of work package 5:17.