EFFET DU GEL SUR LA REPONSE DES TIRANTS D'ANCRAGE ET SUR LA STABILITE D'UN OUVRAGE DE SOUTENEMENT
Alain Le Kouby  1@  , Emmanuel Bourgeois  2, *@  , Bakri Basmaji  3@  , Laurent Sylvestre@
1 : University Gustave Eiffel
GERS-SRO, F-77454 Marne-la-Vallée
2 : Département COSYS
Université Gustave Eiffel
F-77447 Marne-la-Vallée -  France
3 : Centre d'Études et d'Expertise sur les Risques, l'Environnement, la Mobilité et l'Aménagement - Direction Est  (Cerema Direction Est)
Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement
71 rue de la Grande Haie - 54510 TOMBLAINE -  France
* : Auteur correspondant

1. Contexte

Voies navigables de France (VNF) est un établissement public chargé de gérer environ 80 % du réseau des voies navigables de France, qui dépend de la direction générale des Infrastructures, des Transports et des Mobilités (DGITM) du ministère de la Transition Écologique.

Pour la constitution de digues ou de berges de canaux, l'association de palplanches et de tirants d'ancrage est une technique très utilisée, et concerne une partie importante du patrimoine géré par VNF.

Cette communication présente une collaboration entre VNF, le CEREMA Est-Nancy (anciennement Laboratoire Régional de Nancy) et l'Université Gustave Eiffel (anciennement LCPC), qui a débuté en 2007 dans le cadre d'une opération de recherche FONDAMS (FONDations et Améliorations des Sols) (2007-2011).

Une collaboration entre le Laboratoire Régional de Nancy et le LCPC a tout d'abord été convenue en 2007 pour travailler sur l'instrumentation liée aux mouvements de terrain (sites instables, soutènement) avec un accent mis sur les ouvrages de soutènement. Deux volets étaient prévus.

1 Analyse, suivi, développement de l'instrumentation sur chantiers existants

2 Synthèse et bibliographie en vue d'établir un état de l'art sous forme d'un guide méthodologique.

La rupture d'un rideau de palplanches à proximité de l'écluse de Neuves-Maisons nous a conduits à nous intéresser aux mesures des efforts, notamment à l'influence de la fréquence des mesures vis-à-vis du niveau réel de sécurité de l'ouvrage. Les exemples qui suivent montrent l'ampleur des écarts que l'on peut observer et qui peuvent conduire à des diagnostics erronés pouvant conduire à sous-estimer fortement le niveau de risque d'instabilité.

 

Le travail prévu a consisté à réaliser une synthèse de l'ensemble du suivi, à étoffer l'instrumentation et à augmenter la fréquence de suivi à l'aide de tubes inclinométrique et piézométrique sur la digue à l'endroit des désordres afin de corréler les tensions dans les tirants avec les mouvements du sol et les conditions météo et de hauteur d'eau dans la digue. Des investigations complémentaires (sur le comportement du sol) et des modélisations numériques simplifiées ont été entreprise dans la première phase de ce travail, qui a abouti à une synthèse des informations sur l'ouvrage et des mesures disponibles, publiée aux Journées Nationales de Géotechnique et de Géologie de l'Ingénieur en 2012 (Sylvestre et al., 2012). Le CEREMA a effectué un suivi de l'instrumentation jusqu'à aujourd'hui et une nouvelle phase d'étude a été conduite en 2023 concernant l'aspect modélisation et prévision.

2. Présentation du site

Le canal ainsi que les soutènements objets de la présente étude, ont été créés parallèlement à la Moselle au cours des années 1970. Les soutènements sont constitués par des rideaux de palplanches, soutenus par des tirants horizontaux ancrés sur un contre-rideau en palplanches. Au cours du mois de décembre 2001, une rupture localisée du rideau sud a eu lieu, ce qui a entraîné un effondrement de la chaussée d'une route départementale (Figure 1 (a)).

 (a) (b)

Figure 1 Rupture du soutènement en 2001

 

A cette époque, il avait été constaté que les conditions météorologiques étaient défavorables juste avant la rupture : un épisode de grand froid avait succédé à une crue importante de la Moselle située au sud du rideau.

L'expertise menée par le LRPC de Nancy a constaté des dégradations sur les tirants dues à une forte corrosion, l'absence de protection anti-corrosion, la présence de tirants « détendus », qui a amené à se demander si la pré-tension a été suffisante. On a aussi noté le stationnement fréquent et prolongé de poids-lourds à l'aplomb du rideau. Partant de ces constats, des calculs ont été menés en considérant comme hypothèse la rupture d'un tirant sur deux, associée à un phénomène de « vidange rapide ». Dans ces conditions, les calculs effectués avec le logiciel RIDO ont confirmé la ruine de l'ouvrage.

Suite à cette expertise, il a été décidé au niveau de la zone effondrée (Photo 1 (b)):

  • de battre un rideau en retrait de l'ancien,
  • de mettre en œuvre des tirants « barre » traversant comme décrit précédemment,
  • de recéper l'ancien rideau extérieur à la cote « canal + 1m environ »,
  • de conforter la deuxième zone adjacente par des tirants monobarre (clous) scellés dans les marnes,
  • et de poser de nouvelles cellules Glötzl pour un suivi trimestriel des tensions.

Au niveau des zones adjacentes, il a été décidé de renforcer le rideau de palplanches par des tirants « barre » ancrés dans les marnes raides (Figure 1).

 

Suite à la rupture du rideau de palplanche en 2001, la zone réparée ainsi que quelques autres tronçons ont été instrumentés afin de comprendre le comportement de l'ouvrage en service. L'instrumentation a consisté à installer des cales pour mesurer les efforts en tête de tirants, des inclinomètres, des piézomètres, une sonde de température et à enregistrer les données en continu pendant deux ans. Les résultats ont montré que pendant les hivers 2010 et 2012, l'effet du gel a induit des surcharges importantes pendant des périodes de temps très courtes qui n'auraient pas pu être observées avec le suivi semestriel prévu. Le suivi de l'ouvrage a donc permis d'améliorer nos connaissances sur le comportement de l'ouvrage à moyen long-terme et de donner un début d'explication aux désordres observés

L'instrumentation ainsi que les mesures ont été décrites dans Sylvestre et al. (2012) et Basmaji et al. (2023).

En 2023, une étude numérique a été effectuée avec le logiciel de calcul par éléments finis CESAR-LCPC ; elle consiste à modéliser l'effet de l'augmentation de volume qui accompagne la transformation de l'eau en glace, considérée comme la cause des soulèvements et ruptures dus au gel (Brun, 1977), et l'influence de l'étendue de la zone où l'eau contenue dans le sol gèle. Les calculs montrent des augmentations importantes des efforts dans les tirants dues au gel, susceptibles d'expliquer la rupture et de fournir des éléments mieux comprendre le comportement des ouvrages soumis au gel. L'installation d'instruments de mesure des efforts dans les tirants est essentielle pour prendre les mesures nécessaires pour les préserver. Dans le cadre du projet, des sondages à la pelle ont été réalisés à proximité des palplanches et des essais d'identification et de gonflement au gel ont été effectués sur des échantillons prélevés dans les sondages.

 

3. Conclusion et perspectives

Assurer la stabilité des soutènements constitués de palplanches en cas de période de grand froid est une nécessité pour VNF. Deux types d'approche permettent de comprendre et de quantifier l'effet du phénomène : l'instrumentation des ouvrages et l'utilisation de calculs numériques. Une modélisation relativement simple permet de reproduire une très grande augmentation des efforts dans les tirants d'ancrage sous l'effet du gel. Malgré sa simplicité, le modèle peut être utilisé pour étudier l'influence d'un certain nombre de paramètres : l'intensité de la déformation due au gel, l'épaisseur de la zone gelée, la raideur du sol qui gèle, celle des tirants, l'espacement entre les tirants. La mesure de la poussée réelle appliquée à la structure à différentes profondeurs pendant une période de gel peut être utile pour améliorer la compréhension du phénomène. De même, la réalisation d'essais de gonflement au gel sont actuellement réalisés pour caractériser la réponse du sol.

Du point de vue du gestionnaire, il est important de bien noter que l'augmentation d'effort ne peut être observée que si les tirants sont équipés de capteurs permettant une mesure continue : les épisodes de grand froid durant en général quelques jours, une auscultation ponctuelle tous les 6 mois n'est pas suffisante.

Ce travail illustre comment la gestion du patrimoine d'ouvrages publics peut soulever des questions et mobiliser des chercheurs, ici dans les domaines de l'instrumentation et de la modélisation.

4. Références

Andersland OB, Ladanyi B (2004). Frozen Ground Engineering (2 ed.). John Wiley & sons.

Brun KN (1977) Action du gel sur les fondations. Digeste de la Construction au Canada Division des recherches en construction, Conseil national de recherches Canada, avril 1977.

Dysli, M. (1991). Le gel et son action sur les sols et les fondations. Complément au traité de génie civil de l'école polytechnique fédérale de Lausanne, 1991. 247 p.

Basmaji B, Le Kouby A, Kolanek M, Pierre V (2023) https://www.cfms-sols.org/sites/default/files/journee-20230118/05-de-l-interet-d-instrumenter-en-continu-les-tirants-d-ancrage-pdf-20230531150946.pdf

Nixon JF, McRoberts EC (1973). A study of some factors affecting. Canadian Geotechnical Journal, 10(3), 439-452.

Sylvestre L, Stock R, Hervé M, Habert J, Herbaux M, Le Kouby A, Kolanek M (2012) De l'intérêt d'instrumenter en continu les tirants d'ancrage, JNGG 2012, Bordeaux.



  • Poster
Personnes connectées : 2 Vie privée
Chargement...