Comment la recherche participative peut-elle transformer les politiques publiques ?
Evelyne Lhoste  1@  , Julien Mary * , Allison Loconto  2, *@  , Mireille Matt * , Lucile Ottolini * , François Millet * @
1 : Laboratoire Interdisciplinaire Sciences, Innovations, Sociétés
Centre National de la Recherche Scientifique, Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement, Université Gustave Eiffel, Centre National de la Recherche Scientifique : UMR9003, Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement : UMR1326
2 : Institut National de Recherche pour l'Agriculture, l'Alimentation et l'Environnement (INRAE)
Laboratoire Interdisciplinaire Sciences Innovations Sociétés (LISIS), Université Gustave Eiffel
* : Auteur correspondant

Auteur.ice.s : Evelyne Lhoste (Laboratoire interdisciplinaire sciences innovations sociétés (LISIS) CNRS-ESIEE Paris-INRAE-Université Gustave Eiffel), Allison Loconto (UMR LISIS), Julien Mary (Maison des Sciences de l'Homme "Sciences et société Unies pour un autre Développement" UAR 2035 du CNRS - UPVM - UM / Cirad - IRD - Montpellier - France), Mireille Matt (UMR LISIS), François Millet (Le Dôme - Caen), Lucile Ottolini (HC-Ecrac - UMR LISIS). 

Depuis vingt ans, diverses politiques publiques ont été mises en œuvre aux niveaux régional, national et sectoriel sous la bannière de " l'ouverture de la science à la société ". Plus récemment, la loi de programmation de l'enseignement supérieur et de la recherche 2020 a conduit à la création d'un programme spécifique intitulé "Sciences Avec et Pour la Société". L'un des objectifs est d'impliquer des acteurs de la société civile tels que des amateurs ou des groupes impliqués (associations de malades, collectifs de riverains...) dans la recherche participative (RP). Nous, auteur.ice.s, envisageons la RP comme un processus de co-production de connaissances dans un système socio-technique (Geels, 2002). Nous partons du postulat que ces pratiques épistémiques représentent une forme d'organisation alternative au système de recherche et d'innovation dominant. Ce système a été modélisé comme une triple hélice constituée de la recherche académique, de l'industrie et de l'Etat qui en fixent conjointement les enjeux économiques. Des travaux scientifiques suggèrent que l'implication de nouveaux acteurs dans la recherche pourrait contribuer à la construction d'un futur plus désirable en intégrant plus de démocratie dans les choix concernant les enjeux socio-économiques et environnementaux du système de recherche et d'innovation. Cette position normative est proche de celle d'organisations du tiers-secteur de la recherche[1] (TSR) qui s'engagent de plus en plus dans des recherches participatives. Elle est facilitée par deux tendances fondamentales de la société actuelle : 1. Le niveau croissant d'éducation des citoyens et leur volonté de participer activement à la vie publique; 2. Les possibilités liées aux technologies numériques.

L'institutionnalisation de la RP est le fruit d'une convergence complexe et ambigüe entre des politiques publiques et des transformations sociétales. Peu d'études scientifiques étudient le rôle de la société civile dans cette institutionnalisation (Ghosh et al., 2021 ; Molas-Gallart et al., 2021). Cet article a pour objectif d'y contribuer. Nous avons récemment décrit comment une plateforme multi-acteurs, sous l'impulsion de chercheurs de notre laboratoire (LISIS) et d'une association d'éducation populaire, a plaidé pour la légitimation du TSR dans le système de recherche et d'innovation (Lhoste, 2022a). Cette plateforme, appelée Alliss, est active depuis 2013. Des ateliers et des groupes de discussion ont permis de comprendre les besoins de structuration d'un écosystème de RP aux niveaux national et régional. Outre la mise en réseau et le lobbying, la centaine d'organisations membres d'Alliss a identifié la nécessité de renforcer la position du TSR comme acteur stratégique (Joly, 2020 ; Lhoste, 2022b). En d'autres termes, ces organisations ont plaidé pour un changement dans la manière dont la RP est gouvernée, organisée et réalisée. L'objectif est d'inclure une diversité d'acteurs ayant différentes formes de connaissances, différents modes d'apprentissage et différents intérêts pour décider des directions à prendre, des agendas à suivre et des savoirs à produire (Werbeloff, Brown et Loorbach, 2016). Cela aiderait également les organisations du tiers secteur à comprendre leur rôle stratégique dans la recherche et l'innovation.

Dans cet article, nous présenterons une recherche-action visant à développer des outils pour faciliter l'intermédiation de recherche (projet EQUIPACT). Le concept d'intermédiation rassemble des activités visant à relier les organisations et à organiser les changements systémiques indispensables aux transitions sociotechniques (Van Lente et al., 2003 ; Klerkx et Leeuwis, 2009 ; Kivimaa et al., 2019 ; Kanda et al., 2020). L'intermédiation permet d'aborder les "problèmes épineux" qui surviennent dans des environnements caractérisés par une grande incertitude, une grande complexité et une grande interdépendance entre les acteurs, et dont les conséquences sont imprévisibles (Steyaert et al., 2016 ; Loconto et al., 2023). Nous considérons l'intermédiation comme un processus qui peut être mis en œuvre par une variété d'acteurs intéressés par le changement sociétal (Loconto, 2021) tant au niveau local que global (Lhoste et Sardin, 2024). Au niveau local, l'intermédiation est le résultat de la rencontre de différentes cultures sociales, professionnelles et disciplinaires qui partagent un besoin commun, à savoir apporter des solutions à des problèmes identifiés. Au niveau global, l'intermédiation vise à transformer les institutions et à construire de nouvelles infrastructures pour rendre la solution viable.

Notre consortium de recherche comprend des associations et des laboratoires publics. Il est lié à différents réseaux (Boutiques des sciences, Réseaux d'éducation populaire, tiers-lieux, Living Labs, etc.) qui devraient contribuer à diffuser les méthodes et compétences développées. Nos principales questions de recherche sont les suivantes. Comment faciliter l'implication des acteurs dans la recherche-action participative ? Comment capitaliser sur les expériences existantes ? Comment généraliser les innovations d'une communauté à l'autre ? Dans cette communication, nous présenterions : 1. le chemin d'impact du projet pour suivre les transformations au cours du processus de recherche, 2. les premiers résultats d'une enquête qualitative qui mettent en lumière les défis en amont des projets de recherche participative (émergence et incubation) et la façon dont les acteurs les ont résolus dans l'action. Au-delà, nous souhaitons produire d'autres savoirs d'action sur la capitalisation et la formation des acteurs de la recherche participative. En particulier, nous concevons un diplôme universitaire à l'Université Gustave Eiffel. Il a pour objectif de répondre aux besoins de formation diagnostiqués par le consortium EQUIPACT pour les acteurs de l'intermédiation de recherche. Nous envisageons aussi de produire une note d'information à destination des décideurs.

PRÉSENTATION DU CHEMIN DE L'IMPACT

Au début d'EQUIPACT en 2023, le consortium a construit de manière collaborative un chemin d'impact en utilisant la méthodologie ASIRPArt (Matt et al., 2023). Ce chemin sera révisé en juin 2024. Sa construction et sa révision constituent un processus réflexif qui se déroulera tout au long du cycle de vie d'EQUIPACT. Le chemin d'impact permet aux participants de visualiser un récit du changement en reliant les trois éléments d'un processus simplifié de recherche collaborative : l'activité de co-création, les intermédiaires, les transformations et les impacts. Dans ce récit, il est important de mettre en relation les facteurs d'échec et de réussite et de suggérer des moyens de faciliter le processus et de surmonter les difficultés. Cet exercice devrait également permettre aux participants de réfléchir à l'effet "waouh" qui devrait inciter les parties prenantes à s'engager dans des processus de recherche participative et d'innovation transformateurs.

RESULTATS PRELIMINAIRES DE L'ENQUETE

En 2024, nous avons conduit une enquête pour comprendre comment les acteurs organisaient le travail de frontière au sein des projets de recherche participative. Nous avons construit collectivement le questionnaire et l'avons administré via Surveymonkey. Nos organisations et nos réseaux ont été les premiers répondants. Les trente premières réponses nous ont permis de commencer à comprendre : la manière de faire émerger un problème et de formuler un diagnostic social sur une situation que l'on souhaite transformer ; les conditions de mise en relation des acteurs et d'organisation d'un collectif inclusif ; la manière de transformer le problème/la question en questions de recherche. Nous avons identifié différentes approches méthodologiques complémentaires mobilisées tout au long du processus d'émergence des projets de recherche participative : veille et prospective pour détecter les signaux faibles des problèmes sociétaux, autonomisation des parties prenantes en communautés d'apprentissage, mise en réseau, co-création et prototypage, etc.

CONCLUSIONS PROVISOIRES

Le processus ASIRPA et les données de l'enquête qualitative fourniront des informations sur les attentes des associations et des partenaires académiques. Ils nous permettront d'identifier des pistes concernant l'amélioration des politiques publiques de recherche/innovation et les besoins de formation des parties prenantes. 


[1] Les acteurs du tiers secteur de la recherche peuvent appartenir aux secteurs non marchand (associations, syndicats, collectivités locales) et marchand, à but non lucratif (économie sociale et solidaire, groupements professionnels) ou lucratif de petite taille (auto-entrepreneurs, groupements agricoles ou artisanaux). Sur ce point, voir le Livre Blanc de la Plateforme Alliss (www.alliss.org).



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